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Mis à jour
30 mars 2023
LSCP

L’incroyable capacité des bébés à apprendre leur langue maternelle

Les bébés sont de véritables éponges à information. S’ils mettent un an à se mettre debout, l'apprentissage du langage commence bien plus tôt. Mais comment font-ils pour apprendre si facilement et si rapidement leur langue maternelle ? Une nouvelle étude publiée dans le journal scientifique Proceedings of the National Academy of Sciences, menée par Monica Barbir, Mireille Babineau, Anne-Caroline Fiévet et Anne Christophe au sein de l’équipe Le langage et son acquisition du Laboratoire de Sciences Cognitives et Psycholinguistique (LSCP) à l’ENS-PSL,  révèle que les bébés apprennent des nouvelles règles de grammaire en quelques dizaines de minutes et sont capables de les utiliser immédiatement pour apprendre de nouveaux mots. Rencontre avec Monica Barbir, première autrice de cette publication, doctorante au moment de l’étude, et Anne Christophe.

Les bébés sont de véritables petits détectives du langage qui utilisent les indices cachés de la phrase pour deviner le sens des mots.

Durant sa première année de vie, le bébé se met à babiller. "Au cours de leur deuxième année de vie, les nourrissons commencent à apprendre des mots à un rythme impressionnant. L'une des stratégies qu'ils utilisent pour apprendre des mots de manière aussi efficace consiste à tirer parti d'indices cachés dans la grammaire pour faciliter l'apprentissage du vocabulaire. Il s’agit du ‘bootstrapping syntaxique’" explique Monica Barbir, aujourd’hui chercheuse postdoctorale au Centre international de recherche sur la neuro-intelligence de l'université de Tokyo.  

"Lila Gleitman est à l’origine de cette théorie", ajoute-t-elle. "Jusque dans les années 1980, on pensait que l’acquisition des mots passait principalement par l'expérience sensorielle avec le monde. Un enfant voit un chat et entend le mot ‘chat’, si ce mot est répété suffisamment souvent, il crée alors une association directe entre le son chat et l’animal chat, puis intègre le mot à son vocabulaire". Anne Christophe explique que c’est en étudiant de façon très approfondie le développement du vocabulaire d’une petite fille aveugle en 1980, que Lila Gleitman et Barbara Landau ont montré que l’apprentissage des mots par association directe entre ce que l’on voit et ce que l’on entend, n’était pas le processus majeur. Les deux scientifiques ont observé que le langage de cette petite fille se développait à un rythme identique à celui des enfants voyants. "Lila Gleitman a montré qu'elle était capable d'apprendre la différence entre deux verbes de perception visuelle, l’un de perception active comme "regarder" et l’autre de perception passive comme "voir", sans les expérimenter dans le monde" ajoute Monica Barbir. Lila Gleitman et Barbara Landau ont alors cherché à découvrir quelle information la petite fille avait utilisé pour apprendre une distinction aussi fine, sans voir. C’est au cœur même des phrases qu’elles ont trouvé la réponse. "En examinant les phrases contenant les deux verbes, elles ont observé une différence dans la distribution des structures syntaxiques : si certaines conviennent pour les deux verbes,  il y avait un petit nombre de structures syntaxiques dans lesquelles on ne pouvait utiliser que l'un ou l'autre des mots" explique Anne Christophe. Le Dr Gleitman en a déduit que, pour apprendre de nouveaux mots, les enfants s'appuyaient en partie sur la structure syntaxique des phrases dans lesquelles ils les entendaient. Elle a appelé ce processus "initialisation syntaxique" (‘syntactic bootstrapping’, en anglais) :  l’utilisation du contexte syntaxique pour deviner le sens des mots.

Pour expliquer ce processus d' "initialisation syntaxique", Anne Christophe prend l’exemple de l’utilisation des verbes penser et donner. "Dans la phrase  "Elle pense qu’il fera beau ce matin", le verbe est suivi d’une proposition entière, ce qui paraît complètement naturel. On peut penser à un événement entier et donc "penser" est suivi d’une proposition entière. C’est quelque chose qu’on retrouve dans toutes les langues du monde. Le verbe donner qui est un verbe de transfert se retrouve dans une construction où il y a trois éléments : la personne qui donne, la chose qui est donnée, et la personne qui reçoit. On voit bien qu’il y a un lien entre la structure syntaxique de la phrase et le sens du verbe. D’ailleurs, si l’on échange les verbes entre les deux phrases, on s’aperçoit que ça ne marche pas du tout car il y a une incompatibilité entre le sens du verbe et la structure syntaxique dans lequel on l’a placé."

L'explication est encore plus claire en introduisant des mots inventés dans une phrase. "Si je dis "Elle pirdale une bamoule à son torba", explique à son tour Monica Barbir, vous saurez que ‘pirdale’ est une action, et que cette action se porte sur une bamoule et un torba. Ce qui est impressionnant, ajoute la jeune chercheuse, c'est que des bébés utilisent ces indices pour les aider à apprendre des mots." 

Pour en savoir plus : Les Ernests - Anne Christophe : comment les bébés comprennent-ils le sens des mots ?


L’introduction d’éléments nouveaux dans l’environnement linguistique naturel des bébés pour tester les mécanismes d’apprentissage

La manière dont les nourrissons établissent les liens syntactico-sémantiques qui sous-tendent ce mécanisme à un si jeune âge reste peu claire. L’équipe de recherche s’est alors demandée si les bébés pouvaient apprendre les relations entre la grammaire et le vocabulaire et les utiliser pour apprendre des nouveaux mots en présence d’un pattern grammatical, dans une courte période de temps. Les chercheuses ont imaginé un protocole totalement nouveau permettant de répondre à cette question : elles ont introduit de nouveaux éléments grammaticaux dans la langue maternelle des bébés, le français. Ces nouveaux éléments grammaticaux ont été présentés à des nourrissons de 20 mois dans des vidéos ludiques. Les bébés se voyaient ensuite présenter des noms qu’ils ne connaissaient pas afin de mesurer leur capacité à utiliser ces nouveaux éléments grammaticaux pour en déduire le sens des nouveaux noms.

C’est la première fois qu’un tel protocole est mis en place pour tester les mécanismes d'apprentissages de la langue maternelle chez les bébés. Monica Barbir explique que "dans beaucoup d’études, l’apprentissage de la grammaire a été observé à travers des langues artificielles, c’est-à-dire créées de toutes pièces. Mais l’utilisation d’une langue artificielle ne permet pas de comprendre facilement le mécanisme en jeu, le cheminement réel de ce que les enfants se disent à propos de cette langue. Si l’on insère des éléments nouveaux dans la langue naturelle des enfants qu’il connaissent déjà un peu, on peut en déduire qu’ils sont vraiment en train d’interpréter ces éléments nouveaux comme des éléments grammaticaux". "Pour tester le mécanisme d’apprentissage, ajoute Anne Christophe, on n’a pas d’autre choix que d’enseigner un nouvel élément. Et un nouvel élément grammatical, ce n’est pas facile à enseigner. Ce qui est nouveau dans notre étude, c’est de faire du “quasi français”, c’est-à-dire qu’on se repose sur tout ce que les bébés ont déjà appris et on introduit juste un nouvel élément."

Les déterminants " le , " la ", " un ", " une " ont été remplacés par deux nouveaux déterminants inventés par l’équipe, " ko " et " ka ". Ces nouveaux éléments grammaticaux ont été associés à une distinction commune dans plusieurs langues dans le monde mais inexistante en français : la distinction entre ce qui est animé (une personne ou un animal) et inanimé (un objet) qui est marquée dans la grammaire, par exemple du japonais. Ces nouveaux déterminants ont été ensuite intégrés dans l’environnement linguistique riche et naturel des nourrissons afin qu’ils aient accès au large éventail d'indices qu'ils utilisent quotidiennement.

"On a créé un scénario, raconte Monica Barbir, puis réalisé des vidéos présentant des situations très réalistes où une femme joue avec un objet (l’inanimé) et raconte une histoire impliquant une peluche (l’animé). Et on a essayé d’inclure le plus d’indices naturels possibles comme la direction du regard, des petites questions posées à l’enfant telles que "C’est amusant ?".

Les nourrissons ont regardé les vidéos d'apprentissage chez eux pendant trois jours consécutifs avant de les visionner à nouveau au Babylab du LSCP durant la phase de test. La durée totale d'exposition aux nouveaux déterminants était d'environ trente minutes. "Pour que les bébés puissent à chaque fois fixer leur attention, nous avons dû adapter le protocole à la durée de leur concentration et morceler la phase d'entraînement. On a donc réparti les trente minutes d’apprentissage sur quatre jours" explique la jeune femme. "L’ exposition prolongée offre suffisamment de temps à l’enfant pour intégrer ces éléments linguistiques, et inclut des moments de sommeil entre les phases d'entraînement, permettant de faciliter la mémorisation" précise-t-elle. "Durant la phase d'entraînement, continue-elle, on leur a présenté ces vidéos dans lesquelles ils entendaient dans un premier temps une phrase contenant la nouvelle règle de grammaire telle que "Ko lapin veut lire ka livre". La phrase était illustrée à l’écran par un lapin regardant une poule tenant un livre entre ses pattes.

Experience

Puis, dans la phase de test, continue la jeune chercheuse, les nourrissons entendaient une phrase contenant un mot nouveau inventé par l’équipe. Par exemple : "Oh ! regarde ko bamoule". S’ils ont appris dans la phase d'entraînement que "ko" précède des noms d’animés, comme poule ou lapin, alors ils devraient regarder l’image correspondant à ce qui est animé, la peluche. Ce qui permettrait, dans ce cas, de conclure qu’ils ont compris cette relation et qu’ils arrivent à l’utiliser pour apprendre de nouveaux mots". Le regard des nourrissons a été enregistré à l'aide d'un oculomètre afin d'évaluer leur capacité à reconnaître les nouveaux noms.

bebe
© Cyril FRESILLON / LSCP / ENS / EHESS / CNRS Photothèque
Légende : L’oculométre permet de calculer automatiquement où l’enfant regarde, grâce à une caméra qui suit le mouvement de ses yeux. Une gommette blanche et noire, placée sur le front de l’enfant, permet à l’oculométre de retrouver la position des yeux plus facilement dans le cas où  l’enfant a tourné la tête puis revient vers l’écran.

 

Graphique
Légende : Courbes représentants les regards des bébés vers l’animé ou l'inanimé, au fil du temps. La boîte grise représente la fenêtre temporelle durant laquelle il y a une différence significative entre la courbe rouge et la courbe verte. La probabilité d’observer une différence de cette taille est inférieure à 1% (p=0,01), ce qui montre que le résultat est statistiquement significatif.


Les bébés auto-supervisent l’apprentissage du vocabulaire dans leur langue maternelle

Les résultats montrent que les enfants regardent significativement plus vers l’animé lorsqu’ils entendent une phrase avec le déterminant anime ‘ko’ et un nom qu’ils ne connaissent pas (e.g., regarde ko bamoule, courbe rouge sur la figure) que lorsqu’ils entendent une phrase avec le déterminant inanime ‘ka’ et un mot qu’ils ne connaissent pas (e.g., regarde ka pirdale, courbe verte sur la figure).

Les bébés ont appris très rapidement ces nouvelles règles de grammaire et les ont utilisées immédiatement pour apprendre de nouveaux mots. Les jeunes apprenants exploitent à la volée les liens entre les éléments du langage, ce qui suggère que les enfants supervisent eux-mêmes leur apprentissage grâce à un réseau de raccourcis efficaces pour l'apprentissage du langage. Cette étude démontre la vitesse remarquable avec laquelle ils acquièrent un nouveau lien syntactico-sémantique et l'utilisent pour auto-superviser l'apprentissage du vocabulaire dans leur langue maternelle. "Les bébés ont cette capacité à extraire facilement ce qui a une valeur forte pour leur apprentissage :  les liens entre la grammaire et le vocabulaire. Ils sont capables d’identifier les endroits où il y a beaucoup d'informations pour pouvoir apprendre le plus possible, de la façon la plus efficace" explique Monica Barbir.


Comprendre la question du langage pour favoriser son apprentissage.

"Quand on fait ce type de recherche fondamentale, expliquait Anne Christophe dans un entretien en 2021, on garde toujours dans un coin de sa tête l’idée qu’un jour ça devrait pouvoir servir à quelque chose, qu’une meilleure connaissance des mécanismes de l’acquisition du langage devrait pouvoir servir à développer des meilleurs outils diagnostic, ou des outils qui permettraient de faciliter l’apprentissage du langage." Sur ce dernier point, la chercheuse insiste sur l’importance de parler normalement avec l’enfant dans sa langue maternelle. Parler en langage "télégraphique" le priverait de toute la richesse de la phrase, autant d'éléments sur lesquels il s’appuie pour apprendre sa langue maternelle. "Le résultat de cette étude est une brique qui vient s’intégrer à d’autres briques telles que les indices visuels, les environnements sonores ou le contexte, le fait que les enfants suivent le regard des adultes, calculent l’intention de l’adulte etc. Toutes ces briques, les unes avec les autres, jouent un rôle dans l’apprentissage de l'enfant, ajoute Anne Christophe. L’enfant s’appuie sur tous ces éléments pour acquérir sa langue maternelle. “Ce qui peut être utile, c’est d’informer les parents et les professionnel.les de la petite enfance des mécanismes par lesquels les enfants apprennent, d’identifier l’environnement le plus favorable pour l’enfant, puis de choisir de recréer cet environnement-là." 

Dans le cadre de sa thèse, Cécile Crimon, doctorante au LSCP, essaie justement d'en apprendre plus sur le rôle de l'environnement de l’enfant dans son développement du langage. "Les recherches comme celle de Monica Barbir nous montrent la complexité des informations que les jeunes enfants sont capables de tirer de leur environnement linguistique, et comment ils peuvent utiliser ces informations pour s'aider dans leur acquisition de leur(s) langue(s) maternelle(s). Dans le cadre de mon projet, explique Cécile Crimon, nous avons synthétisé, d'une manière claire et accessible, les dernières découvertes en acquisition du langage et ainsi créé une formation à destination des professionnel.le.s de la petite enfance. L'idée est ensuite d'aider ces prorfessionnel.le.s à mettre en pratique, dans leur quotidien avec les enfants, ces connaissances théoriques. En comprenant mieux comment les enfants acquièrent leur(s) langue(s) maternelle(s), quels types d'indices ou d'informations socio-linguistiques ils utilisent pour s'aider dans cette tâche, les professionnel.le.s peuvent enrichir l'environnement des enfants de la manière la plus adaptée possible pour favoriser l'acquisition du langage. De nombreuses études ont mis en évidence un lien entre les caractéristiques de cet environnement et le développement du langage des enfants. Ce qu'on cherche à comprendre ici c'est s'il y a un lien de causalité entre les deux, c'est-à-dire si, en enrichissant l'environnement des enfants d'une manière informée par ces recherches, nous pouvons favoriser leur développement linguistique."

L’étude de Cécile Crimon entend répondre à une double question théorique et sociale : comprendre plus précisément le rôle de l’environnement dans le développement de l’enfant, mais également développer des outils concrets pour le favoriser. "À mesure que les questions d'inégalités des chances, et de l'importance des premières années de vie de l'enfant prennent toute leur place dans le débat public, ajoute la jeune chercheuse, l'intérêt et le besoin de ce type d'outils, concrets et fondés sur des preuves, deviennent évidents". 

La compréhension de ces mécanismes cognitifs qui se développent de la petite enfance à l'âge adulte et qui rendent difficile l'acquisition d’une deuxième langue plus tard dans la vie est également importante pour le développement de nouvelles méthodes d'apprentissage d'une nouvelle langue. "Lorsqu’on commence à apprendre une nouvelle langue à l’âge adulte, on a beaucoup plus de difficultés qu’un jeune enfant" souligne Monica Barbir. Une question régulièrement posée est celle de savoir s’il ne faudrait pas commencer l’étude d’une seconde langue dès le plus jeune âge. "Ce qui est intéressant, explique la jeune chercheuse, c’est que commencer très jeune n’est pas forcément mieux. La recherche doit encore avancer pour répondre à cette question. Mais pour le moment, ce que l’on sait, c’est que la qualité et la quantité d'interactions dans la deuxième langue priment avant tout."


La bande dessinée comme outil de diffusion des découvertes scientifiques sur l’acquisition du langage auprès du grand public

L’intérêt pour les langues et l’envie de transmettre les découvertes scientifiques au grand public habitent Monica Barbir depuis longtemps. Avant de faire de la recherche, la jeune femme a enseigné l'anglais comme langue étrangère au lycée, dans le cadre du programme d'échange et d'enseignement japonais JET programme. Elle développe alors des connaissances pratiques sur l’apprentissage d’une seconde langue. "J'ai eu envie de transmettre d’une façon très concrète tout ce que j'avais appris sur l’apprentissage des langues sur le terrain au sein de la classe, et de le rendre accessible à tout le monde. J'ai alors fait une maîtrise en conception de bandes dessinées durant laquelle j'ai créé des planches d’une BD sur l'apprentissage d'une seconde langue. J’y présente une façon d’apprendre différente de celle que nous connaissons qui consiste à apprendre une liste de mots, des traductions, des règles de grammaire" raconte la jeune femme dans un entretien récent dans le podcast Women in Academia. "La bande dessinée est un médium qui permet de recréer un environnement rempli d’indices favorisant l’apprentissage." L’envie de se plonger dans les théories existantes en sciences cognitives l'amène à faire un master puis un doctorat au Laboratoire de Sciences Cognitives et Psycholinguistique au Département d’Études Cognitives de l'ENS, sous la supervision d’Anne Christophe. "J’avais fait de l’enseignement, j’avais créé un outil pédagogique, j’avais désormais besoin de bases académiques".

KotobooC’est donc tout naturellement que Monica Barbir s’est lancée dans la création de Kotoboo en 2020, un site “ressources” où les découvertes scientifiques sur l’acquisition du langage sont présentées sous forme de bandes dessinées. L’objectif est de rendre le contenu accessible à toutes et à tous à travers le monde, des éducateur.trices aux parents. L’équipe se compose de chercheur.ses spécialistes des questions du langage parmi lesquel.les Cécile Crimon, qui partage aujourd’hui la présidence de Kotoboo avec Monica Barbir. "Dans le cadre de nos travaux de recherche, raconte cette dernière, nous rencontrons beaucoup de parents qui partagent tous les mêmes interrogations sur le développement du langage des enfants. Kotoboo est né de ce constat. On a décidé de créer ce site pour leur apporter des réponses en s’appuyant sur la recherche. On essaie de donner aux parents et aux éducateur.trices des outils pour aider les enfants à développer leur langage". 

Kotoboo permet d’informer, mais aussi de rassurer les parents “qui se mettent souvent beaucoup de pression” dès qu’il s’agit des apprentissages de leur(s) enfant(s). "Nous leur expliquons que les enfants arrivent à apprendre des langues très différentes les unes des autres, dans des environnements variés. Il y a, par exemple, des cultures dans lesquelles on s’adresse peu aux enfants, ou l’entourage des bébés est composé plus souvent d’enfants que d’adultes. Ces enfants apprennent également leur langue maternelle de façon similaire”. La jeune femme fait notamment référence aux recherches menées par l’équipe “Acquisition du langage à travers les cultures” dirigée par Alejandrina Cristia au LSCP. Une étude récemment publiée dans la revue Developmental Science(*) qui porte sur les expériences vocales des enfants de l’île de Malakula où le multilinguisme est la norme, révèle que ces enfants vocalisent à un rythme comparable à celui des enfants des populations monolingues habituellement étudiées, malgré un temps de parole entendue inférieur.

"C’est aussi important de dire aux parents, ne culpabilisez pas si vous n’avez pas le temps d‘utiliser telle ou telle méthode d’apprentissage, ajoute la jeune chercheuse. En réalité, il suffit de passer du temps, d’interagir avec votre enfant et le monde. C’est cette interaction-là, entre les parents ou les éducateur.trices, l’enfant et le monde, qui aide un enfant à apprendre une langue".

Kotoboo a été créé pendant la pandémie et s’est développé depuis. "Nous avons commencé avec des chercheur.ses établi.es sur quatre continents". Kotoboo existe aujourd’hui en cinq langues : anglais, français, japonais, espagnol et arabe. "Les contenus sont en train d’être traduits dans trois autres langues : l’ukrainien, le chinois mandarin et le brésilien." Le site comptabilise 10 000 vues par an. Une étude récemment menée par l’équipe de Kotoboo auprès des utilisatrices et des utilisateurs du site révèle qu’en plus d’informer les parents, le contenu du site leur donne envie de participer à des études scientifiques avec leur(s) enfant(s). "Être en contact avec le grand public de cette façon et donner envie aux familles de participer à nos recherches nous permet d’avancer et de les aider encore plus ! C’est un cercle vertueux !" conclut, enthousiaste, Monica Barbir.

BD
Illustration de l'étude Rapid infant learning of syntactic-semantic links publiée sur le site de Kotoboo.
 
 

Contacts :

  • Monica Barbir - monica.barbir@ircn.jp 
  • Anne Christophe - anne.christophe@ens.psl.eu


POUR EN SAVOIR PLUS

Monica Barbir
Monica Barbir est chercheuse postdoctorale au BabyLab de l'International Research Center for Neurointelligence (IRCN) de l'Université de Tokyo. Ses travaux de recherches portent sur la façon dont les humains apprennent le langage tout au long de leur vie. Ils visent en particulier à mettre en évidence les mécanismes cognitifs qui rendent l'apprentissage du langage facile pour les bébés mais difficile pour les adultes. Son objectif est de créer de nouvelles méthodes d'apprentissage du langage qui permettraient aux adultes d'apprendre le langage aussi bien que les bébés. 

Monica a fait ses études de premier cycle à l'Université de Toronto. Elle a enseigné l'anglais en tant que langue étrangère dans le cadre du programme d'échange et d'enseignement japonais (JET programme) et a obtenu une maîtrise en conception de bandes dessinées. Elle s’est ensuite lancée dans un doctorat au Laboratoire de Sciences Cognitives et Psycholinguistique au Département d’Études Cognitives de l'École normale supérieure, sous la supervision d’Anne Christophe. 

Site internet de Monica Barbir

Anne Christophe

Babylab du LSCP